4.0 out of 5.0 stars

Ambiance sombre, personnages mystérieux, mensonge et manipulation. Réalisé par Guillermo del Toro, Nightmare Alley est une adaptation du roman éponyme de William Lindsay Gresham paru en 1947. Entre monstres fantasmagoriques de fête foraine et film noir des années 40, del Toro nous livre un contre grinçant sur la nature humaine.

Mystère et double jeu

L’intrigue prend place dans une Amérique qui a été marquée à la fois par la Première Guerre et par la Grande Dépression. Dès la première scène, on comprend que Stanton Carlisle, le personnage principal, cache un secret. Fuyant un passé douloureux, Stan tombe par hasard sur une foire itinérante et rejoint rapidement son équipe. Auprès d’eux, le jeune homme s’initie aux techniques du mentalisme, avant de monter son propre numéro avec la belle Molly dont il s’est épris. Ayant désormais tout appris de la prestidigitation, il divertit des foules bourgeoises dans un club luxueux jusqu’à sa rencontre avec la psychologue Lilith Ritter. 

Le scénario est constitué de deux parties bien distinctes. La première, exposant les personnages, est une référence très marquée au chef-d’œuvre Freaks, la monstrueuse parade, le film culte de Tod Browning sorti en 1932. La seconde partie introduit de nouvelles thématiques et de nouveaux personnages, présentant un vaste cambriolage psychologique qui finira tragiquement.

Le casting est impressionnant avec, entre autres, Toni Collette, Cate Blanchett, Willem Dafoe, Ron Perlman et Rooney Mara. Le charisme de Bradley Cooper perce l’écran, certains y voient même la meilleure performance de sa carrière. Cate Blanchett n’est pas en reste avec son rôle de psychanalyste freudienne et femme fatale manipulatrice.

Contraste et rupture

Au niveau de l’image, del Toro a accordé un soin judicieux aux textures, aux matériaux, aux teintes délavées, aux atmosphères. Tout est affaire de contraste et de rupture. Les ambiances des deux parties du film véhiculent une symbolique. Ainsi, les toiles des chapiteaux du cirque sont aux prises avec la tempête et le vent : elles respirent. En témoignent les plans sur l’air qui s’engouffre dans les tentes ou la pluie qui s’infiltre dans les attractions rouillées. A l’inverse, en ville, rien ne bouge. Ce ne sont que de grands murs inertes, du verre et de l’acier. Les buildings remplacent le ciel. On y étouffe, comme Molly, emprisonnée dans un rôle qui ne lui convient pas. 

 

La photographie est donc le point fort du film. Que ce soit par les décors ou les costumes, le charme est total. Le décor envoûte, la lumière sublime, notamment avec les jeux de reflets des miroirs de la foire. Comme l’ensemble des films de Guillermo del Toro, Nightmare Alley est formellement très beau.

Du cirque à la vie en société : qui sont les monstres ?

Avec Nightmare Alley, del Toro ne quitte pas totalement son genre de prédilection : le fantastique. Le film flirte en permanence avec le surnaturel en restant toujours très réaliste et tangible. La monstruosité ne réside plus dans le“bizarre” mais bien dans les aspects les plus vils de la condition humaine. Guidé par le seul appât du gain, Stanton n’a aucun scrupule à exploiter les croyances, les désirs, les besoins et les faiblesses d’autrui. Face à des protagonistes tels que lui ou sa comparse Lilith, on s’interroge : qui sont les véritables monstres ? L’horreur déguisée de la foire avec une cartomancienne, une “femme électrique” ou un “geek” dévorant un animal vivant, n’est qu’un masque cachant la cruauté cachée de l’esprit humain.

 

A travers son dénouement tragique Nightmare Alley aborde plusieurs  thématiques comme les insécurités profondément enfouies pouvant pousser les gens à faire des choses folles, ou la relation avec l’alcool. En effet, dans son ascension vers le succès, la décision de boire ou de ne pas boire est essentielle pour Stan en tant qu’individu. La volonté de fer du mentaliste, renonçant systématiquement à l’alcool afin de rester maître de lui-même, flanche suite à sa rencontre avec Lilith. La scène où elle l’embrasse avec de l’alcool sur les lèvres et qu’il y goûte pour la première fois est ainsi symbolique du début de sa chute.

Une fable contemporaine

Si Nightmare Alley est un bijou visuel, son principal défaut reste son rythme. Pour un film de 2h31, on déplore une première partie d’exposition un peu longue. Il faut toutefois préciser que le tournage de Nightmare Alley a dû être interrompu à cause de la pandémie. L’équipe a d’abord tourné l’intégralité de la seconde partie, l’heure de film qui se passe à la ville. Le reste du film n’a été tourné que neuf mois plus tard. Cela peut ainsi expliquer cette première partie qui s’étire, ayant pu être peaufinée, réécrite et sublimée, quitte à être chronophage.

 

Au niveau des personnages, on regrette le manque de profondeur du personnage de Stan. Sa personnalité énigmatique le prive de notre compassion. Le film reste donc assez pauvre en émotions et en intensité. Ce point semble néanmoins voulu par le réalisateur, réussissant haut la main le défi de faire de son personnage principal un sujet presque hermétique. La manière de filmer n’y est pas pour rien : Stan est toujours filmé de derrière, à moitié dans l’ombre. Une aura de doute flotte autour de lui, appuyée par son mutisme et ses comportements disparates à l’égard des autres personnages. Tout le film, on peine à s’identifier à ce héros. On est avec lui, mais pas tout à fait quand même. Guillermo del Toro maîtrise à la perfection l’équilibre subtil entre méfiance et curiosité. En cela, c’est lui le véritable prestidigitateur.

 

Par ailleurs, on est que peu surpris face au dénouement glaçant, et cette fin trop prévisible semble davantage faire office de morale. C’est précisément cette présence d’une pensée derrière l’œuvre qui l’amène au rang de fable et nous fait ressortir songeur de la salle de cinéma. Car comme le dit Pete, le mentor de Stan, « quand un homme croit en ses propres mensonges, il devient aveugle ». 

 

Au final, Nightmare Alley est une œuvre originale magnifiquement filmée et admirablement interprétée dont la puissance n’est malheureusement pas à la hauteur de l’émerveillement visuel.

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